Le courage est l’une des composantes du leadership. Le courage managérial est donc l’une des compétences d’un manager qui a du leadership et qui s’exprime, comme l’indique l’étymologie du terme, en ayant du cœur dans son implication avec l’autre. Mais peut-on développer son courage managérial ?

Peter F. Drucker (2006), grand penseur du management, écrivait que « ce serait bien si je le pouvais, mais malheureusement je ne connais pas de procédure ou de check-list pour le courage managérial ». En fait, la vraie question pour lui, à l’image de son approche du management empreinte de responsabilité, est « si nous n'étions pas déjà dans cette situation, voudrions-nous nous y trouver ? Et si la réponse est non, la question suivante devrait être : comment en sortir et à quelle vitesse ? ». On peut en retenir que l’aptitude à prendre des décisions est l’une des composantes du courage managérial. Or, elle peut s’exercer.
D’autres composantes apparaissent dans les différentes définitions proposées par la recherche, par exemple celle d’Eric Delassus (n.d.) : « Le courage managérial consiste en fait à savoir prendre les décisions qui vont dans le sens du bien commun, au risque de devoir affronter les réticences et les critiques parfois violentes de ceux qui, soit par ignorance, soit pour préserver certains intérêts particuliers, s’y opposent… Pour dire les choses simplement, être courageux consiste d’abord à faire ce que l’on estime devoir faire sans renoncer aux principes et aux valeurs qui sont au cœur de nos convictions par crainte des conséquences que cela pourrait entraîner ».
Dans un mémoire récent, Lucie Morin (2023) a étudié la question du courage managérial en profondeur et propose également une revue très détaillée de la littérature sur la question. Sa définition est de « Faire le choix de poser des actions cohérentes avec son identité personnelle et professionnelle et ses valeurs, en servant un objectif jugé bon, et ce, malgré la peur ou le risque ».
On retiendra donc à ce stade, outre la capacité de décider, la notion de risque et celle des principes et valeurs comme composantes du courage managérial, notions que l’on retrouve d’ailleurs dans des définitions plus générales du courage (Woodard & Pury, 2007).
Lucie Morin note également que « Les recherches d'écrits sur le courage managérial mènent à identifier que le courage est souvent associé au rôle ou à la posture de leader en plus de celui de gestionnaire ». Selon Belcher (2024), le courage est d’ailleurs un des sept éléments du caractère du leader. Or, leadership et management ne sont pas équivalents. Pour Kotter (2014), le management apporte la faculté de diriger et d’organiser alors que le leadership crée l’inspiration et le changement pour initier de nouvelles stratégies. Il écrit d’ailleurs que « L'idée essentielle est que le management et le leadership sont deux choses très différentes et que l'un et l'autre sont essentiels pour aider les entreprises à gagner dans des environnements instables. »
En fait, si le courage est l’une des composantes du leadership, le courage managérial est donc l’une des compétences d’un manager qui a du leadership et qui s’exprime, comme l’indique l’étymologie du terme, en ayant du cœur dans son implication avec l’autre.
Comme le relève Lucie Morin (2023), la difficulté de ce sujet est qu’il y a, dans la littérature, de multiples définitions et manifestations concrètes du courage. Woodard & Pury (2007), qui se sont intéressés à mesurer le courage, soulignent d’ailleurs que leur principale difficulté est celle de définir le courage de manière claire et concise. Il n’est donc pas surprenant que Morin (2023) constate qu’« au-delà de cette possibilité de mesurer, d'identifier ou de décrire le courage managérial, peu de données empiriques sont disponibles sur le développement de ce type de capacité chez le gestionnaire ».
Or, c’est bien la question qui nous intéresse ici, celle de savoir si l’on peut développer son courage managérial ?
Il se trouve qu’Eric Delassus (2020) répond à cette question dans une interview : « Oui, le courage n'est pas une qualité innée, il s'apprend, il est le fruit d'une éducation, de l'habitude et aussi de la fréquentation d'autres personnes courageuses. L'exemplarité me semble jouer ici un rôle essentiel ». De plus, il se trouve que ce n’est pas nouveau. En 1995, dans leur manuel pratique du leadership, Michael Lombardo et Robert Eichinger proposaient déjà une méthode pour apprendre le courage managérial, qui consiste « à dire ce qui doit être dit au bon moment, à la bonne personne et de la bonne manière ».
Nous proposons donc, pour aborder la question de manière pragmatique, d’admettre que le courage managérial est une compétence systémique, résultant donc de plusieurs composantes en interaction, et de déduire de la littérature celles qui le caractérisent pour isoler celles que l’on peut a priori entraîner. Savoir dire non par exemple (Jost-Raffort et al., 2021). Manifester de l'ouverture et de l'humilité (Detert, 2022), ou encore faire preuve de résilience et avoir de l’intelligence émotionnelle (Gavin, 2020).
De nos recherches, nous avons retenu des composantes à la fois propres aux définitions du courage managérial, d’autres liées aux aptitudes relationnelles du manager et d’autres encore relevant de sa personnalité ou de son environnement. Elles forment ensemble une compétence systémique en ce sens que le courage managérial fait interagir des dimensions personnelles, interpersonnelles et sociales :
- S’exercer à la prise de décision
- Apprendre à apprécier et accepter le risque
- Pratiquer le fait de dire non positivement ainsi que l’assertivité bienveillante
- Savoir faire preuve d’ouverture et d’humilité
- Connaître et formuler ses valeurs et ses principes
- Cultiver son intelligence émotionnelle
- Développer une culture de feedback et de confiance au sein de son équipe
- Entraîner sa résilience face à l’adversité qui peut découler d’actes courageux
Cette liste présente des analogies avec les résultats des recherches de Brené Brown (2018), surtout pour les quatre derniers éléments, qui correspondent à trois des quatre compétences identifiées par Brown comme constitutifs du
courage de conduire, ou
dare to lead, qui est le titre de son livre, également traduit comme
oser avec audace. Ces quatre compétences, qui selon cette auteure peuvent être enseignées, observées et mesurées, sont les suivantes :
- Affronter les échanges difficiles en acceptant sa vulnérabilité et donc de prendre le risque d’échouer et de s’exposer émotionnellement
- Vivre en accord avec ses valeurs et agir en conséquence
- Établir la confiance, en fixant des limites, en se montrant fiable, responsable et respectueux de la confidentialité, en faisant preuve d’intégrité et de générosité et en ne portant pas de jugements sur l’autre
- Apprendre à rebondir après un échec
Dans une autre approche récente de la pédagogie du courage managérial, Favre et Martin Maréchal (2025) soulignent également l’importance de l’audace avec une formule séduisante par sa simplicité, et proposent une lecture du courage managérial comme étant une combinaison de la prise de décision éthique (
oser + décider = agir + expliquer) et de la régulation des émotions (
éthique + émotions = responsabilité + discussion).
Nous retenons donc de ces lignes l’idée qu’en travaillant différentes aptitudes, comme celles d’oser et savoir s’exposer, de fonder son action sur ses valeurs, de développer la confiance et de savoir rebondir, les cadres pourront contribuer à développer leur courage managérial dans la pratique et, en définitive, faire progresser cette compétence. Un peu à l’image du leader courageux qui, selon Nancy Koehn, professeur à la Harvard Business School, est « une personne capable de s'améliorer et de se renforcer lorsque les enjeux sont élevés et que les circonstances se retournent contre elle » (Gavin, 2020).
Et, dans l’immédiat, faites le test =>
Etes-vous-courageux ?Auteur : Cornelis Neet (révision du 12 juillet 2025)
Sources :
- Diane Belcher (2024). The Case for Leadership Character. Harvard Business Publishing, Corporate Learning Blog. https://www.harvardbusiness.org/the-case-for-leadership-character/
- Brené Brown (2018). Dare to lead. Random House, New York, 320 p.
- Eric Delassus (n.d.). Le courage managérial. Philiaconcept. http://cogitations.free.fr/wp-content/Le-courage-managérial.pdf
- Eric Delassus (2020). Comment renforcer son « courage managérial ». Interview pour Management Magazine. https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=article&no=34917
- James R. Detert (2022). What Courageous Leaders Do Differently. Harvard Business Review 2002 (01). https://hbr.org/2022/01/what-courageous-leaders-do-differently
- Peter F. Drucker (2006). On managerial courage. Excerpted from "What Executives Should Remember," Harvard Business Review, Vol. 84, No. 2, February 2006.
- Patrick Favre et Séphora Martin Maréchal (2025). Renforcer le courage managérial. Webinaire du Centre d’Education Permanente (CEP), Lausanne, https://fr.linkedin.com/posts/cep-vaud_pour-le-dernier-webinaire-cep-du-semestre-activity-7341337049045573635-xJmk
- Matt Gavin (2020). 5 Characteristics of a courageous leader. Harvard Business School Online's Business Insights Blog. https://online.hbs.edu/blog/post/courageous-leadership
- Ghislaine Jost-Raffort et al. (2021). Comment renforcer son "courage managérial". Société Internationale d’Etudes et d’Interventions, SCOPE, http://www.siei.fr/wp-content/uploads/2021/05/SIEI-SCOPE-Mai-2021-Comment-renforcer-son-courage-managérial.pdf
- John P. Kotter (2014). Accelerate: Building Strategic Agility for a Faster Moving World. Harvard Business Review Press, 224 p.
- Michael Lombardo & Robert Eichinger (1995). The Team Architect® user’s manual. Minneapolis, MN: Lominger Limited (2006 Edition), 847 p.
- Lucie Morin (2023). Soutenir le développement du courage managérial : une démarche d'analyse de pratiques sur des moments de courage au travail avec un groupe de gestionnaires. Mémoire. Rimouski, Université du Québec à Rimouski, Unités départementales des sciences de la gestion, 230 p. https://semaphore.uqar.ca/id/eprint/2324/
- Cooper R. Woodard & Cynthia L. S. Pury (2007). The Construct of Courage: Categorization and Measurement. Consulting Psychology Journal: Practice and Research, 59 (2) : 135–147.
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